Fabienne Jacob, biographe des corps

PORTRAIT. Professeur de français, critique littéraire puis finalement écrivain : la vie de Fabienne Jacob tourne autour de la littérature. Lorsqu’elle évoque sa carrière, son amour des livres, de l’écriture et du jeu avec les mots transparaît dans sa voix et son rire.

JACOB Fabienne

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Cette Lorraine de 54 ans aime écrire autant que lire. Après quelques années à enseigner à Mayotte (Comores), elle revient en métropole et prend la plume en tant que journaliste. C’est finalement à l’âge de 45 ans qu’elle se lance dans la fiction avec le recueil de nouvelles Les après-midi ça devrait pas exister, paru en 2004 chez Buchet-Chastel. Suit son premier roman, Des louves, publié en 2007 chez le même éditeur.

L’enfance et la terre

Née en 1959 à Créhange en Moselle, elle mène une enfance campagnarde, qui influence encore aujourd’hui son imaginaire d’écrivain. Fabienne Jacob ne se revendique pourtant pas comme un écrivain de terroir mais plutôt de « terre ». La terre et ses figures rurales, âpres et solitaires, rythment ses romans comme un leitmotiv, une obsession du déracinement. Habitant en ville depuis des années, l’auteur admet bien volontiers que si elle était restée en Lorraine, elle n’aurait sans doute pas eu besoin d’écrire : « C’est sans doute parce que ma terre natale me manquait que j’ai commencé à écrire. L’écriture procède toujours d’un manque à combler ».

En plus de cet imaginaire campagnard, Fabienne Jacob reçoit en héritage une double culture, liée au statut franco-allemand de la Lorraine. Enfant, elle entend parler allemand autant que français et sent presque écartelée entre ces deux civilisations. L’écrivain endure dans une moindre mesure les tourments du personnage de Tahar dans L’Averse, son dernier roman, paru en 2012. Cet Algérien émigré en métropole souffre d’avoir choisi le « camp français ». L’auteur et son personnage sont des ruraux qui découvrent la grande ville, apprennent le français tardivement et éprouvent tous deux un sentiment de trahison vis-à-vis de leur « autre patrie ».

L’enfance est une matière première de choix pour Fabienne Jacob. Elle y puise des souvenirs et les transforme avec une bonne part d’invention. Ses romans font appel à des sensations de jeunesse, aux premiers émois. La blancheur et la lumière y tiennent une place importante. Pour Fabienne Jacob, il y a là un paradoxe : « Corps est un livre de maturité, que je n’aurais pas pu écrire plus jeune mais dont chaque scène est un écho de mes impressions d’enfant, une survivance de mon quotidien d’alors. ».

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Féminité et sensualité

Au-delà des sensations, il y a le corps. Il apparaît en filigrane tout au long de L’Averse dans un rapport de dualité, entre la vitalité débordante du corps du jeune Tahar et son inertie contenue dans le lit d’hôpital du vieux Tahar aux portes de la mort. Dans Corps, on retrouve cet antagonisme entre les chairs jeunes et vieilles, celles malmenées par la vie rurale et celles protégées par le cadre urbain.

Fabienne Jacob explique cette prégnance du thème corporel dans son œuvre par un « désir de figer le corps à un instant précis ». Elle se déclare sensible aux physiques « atypiques » et affirme écrire « avec ses sensations plutôt qu’avec son intelligence ». Tout est dit ici : son écriture est physique, sensuelle. Ses romans sont ceux de la féminité mais l’auteur ne se réclame pas pour autant d’être féministe. Elle préfère parler d’un « mécanisme inconscient », qui la pousse à écrire et réécrire ces corps de femmes. Et en effet, le subconscient transparaît lorsqu’elle cite à ce propos la poète féministe Hélène Cixous pour défendre son propos : « Le livre sait beaucoup plus de choses sur nous que nous en savons sur le livre ».

Le cinéma comme muse

Ses autres figures d’inspiration ? Virginia Woolf et Marguerite Duras. Elle aime particulièrement Hiroshima mon amour, dont les phrases courtes, le style dépouillé et le sous-texte lourd de sens l’ont beaucoup influencée. Comme Duras, le style de Fabienne Jacob est reconnaissable entre mille. Il n’est ni lyrique, ni fleuri mais préfère se situer dans le dépouillement et la tension. L’oralité est au premier plan, les virgules et les conjonctions absentes : « Je suis impressionnée par la dimension cinématographique des romans de Duras et j’essaie de la restituer dans mes propres ouvrages : flashes-back très visuels, dialogues construits comme des scènes… ».

Fabienne Jacob est en effet très attirée par le cinéma. Elle cite Bruno Dumont et Michael Haneke parmi ses réalisateurs favoris – La Pianiste est un de ses films préférés, adapté d’après le roman d’Elfriede Jelineck qui figure également au panthéon de ses auteurs féminins. « La bibliothèque familiale n’était pas très fournie, explique-t-elle, et c’est donc vers le cinéma que j’ai été portée en premier lieu. J’ai découvert le cinéaste Ingmar Bergman dans le film Un été avec Monika grâce au ciné-club de France 3 à l’âge de seize ans. j’ai été touchée pour le reste de ma vie. ». Au point de donner le prénom de Monika au personnage principal de Corps… Du cinéma à la littérature, la boucle est bouclée.

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La cave et la robe

Fabienne Jacob revisite ses souvenirs d’enfance et puise dans des sources cinématographiques pour écrire mais, et elle insiste là-dessus, c’est « le hasard » qui finalement dicte son écriture : « Je suis comme un mineur qui descend à la cave, j’explore cette mine sans lumière sans aucune idée de ce que je vais remonter ! ». Après le charbonnier, elle évoque ensuite la couturière : « J’imagine des bouts d’histoire de manière absolument pas linéaire, je prends des notes puis si ces scènes me plaisent, je les assemble, je les couds comme des bouts de tissus pour créer une ”robe de mariée” . ». Un travail manuel, l’écriture ? L’auteur est toujours sur la brèche : partout où elle se trouve, elle note ses idées dans un carnet : « Lorsque je prends le train, ou que je visite une expo de photos, je fourmille toujours d’inspiration. J’écris partout, n’importe quand ».

Cette frénésie d’écriture n’a pourtant commencé que tardivement. Ce n’est qu’en 2004 que Fabienne Jacob décide d’écrire, soit après que sa fille a quitté le nid familial car selon elle, « maternité et créativité ne font pas bon ménage ». À 45 ans, l’auteur se détermine donc de débuter une nouvelle existence : « Écrire, pour moi, c’est une seconde vie ».

 

 

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